Notre fils Léon est mort né le 3 mai 2010, à 41SA +4j.
Ca fait 17 jours maintenant, et j'ai besoin d'écrire ce qui s'est passé et de le mettre sur ce forum, un peu comme on jette une bouteille à la mer, avec juste la certitude que son histoire sera lue.
Je suis déjà maman d'un merveilleux petit bonhomme, Jules, qui aura bientôt 3 ans.
Ma 1ère grossesse avait déjà été loin d'être idyllique et je souhaitais tellement que celle-ci soit différente !
Pour mon 1er fils, le gynéco avait repéré vers 6 mois une anomalie de croissance du lobe cérébral gauche et pendant près de 2 mois, notre vie s'est arrêtée. Examens au CHU, nouvelles échographies : on ne sait pas si c'est grave ou non, revenez dans 2 semaines, on y verra plus clair, on peut encore rien dire, etc... Vers 8 mois, on nous demande même comment on se positionne par rapport à l'IMG, vu qu'en l'état actuel des choses, il y a 20% de chance que notre fils soit débile léger.
Pendant 2 mois, nous n'osons plus poursuivre l'aménagement de sa chambre, nous espérons, c'est tout. Heureusement, quelques semaines avant la DPA, on nous annonce que tout est rentré dans l'ordre, que le lobe cérébral de Jules n'est plus trop gros, qu'il a du avoir une croissance dysharmonique et qu'il n'y a plus rien à craindre.
Avec mon mari, nous revivons, la date de l'accouchement arrive, Jules n'est pas pressé : il ne veut pas descendre, alors le gynéco le provoque, et là, mon petit bonhomme se présente en face (une présentation assez rare). Le gynéco décide donc une césa en urgence, et 45 minutes après, on dépose dans nos bras le plus merveilleux des bébés. Nous sommes des parents comblés....
Très vite, nous avons envie d'un nouvel enfant. Et début septembre 2009, j'apprends que je suis à nouveau enceinte et que notre futur enfant est prévu pour le 29 avril 2010. Ce coup-ci, ma grossesse se déroule sans aucun problème. Toutes les échos, les monitos sont excellents. Je me sens sereine et vraiment moins angoissée que la dernière fois. En plus, 3 autres de mes amies sont enceintes en même temps que moi, et nous devons toute accoucher en avril 2010. Bref, 9 mois de bonheur et de complicité au programme.
Toutefois, mon mari et moi aimerions vraiment vivre un accouchement par voie basse (nous avons été très frustré par la césarienne...). Je change donc de gynéco (qui a une franche tendance à faire des césariennes), je change aussi de maternité et me dirige vers une équipe qui privilégie la voie basse (même pour des présentations en face!) et qui me semble bien plus "humaine" que l'autre.
Mon nouveau gynéco m'explique qu'après une césarienne, il ne peut pas me garantir une voie basse, mais qu'on essaiera, dans la mesure où ça ne met personne en danger. J'ai confiance en lui....
Vers 8 mois, Léon est en siège complet (j'ai pas de bol sur les présentations de mes enfants), mais à force de mouvement de yoga, il réussit à se mettre la tête en bas. Par contre, rien à faire, le col ne s'ouvre pas et mon fils ne s'engage pas.
La DPA arrive et toujours rien. Je fais des monitos tous les jours, tout est normal. Mon fils est estimé à 3kg500 et 50 cm. Ses constantes sont normales. Le gynéco me dit qu'il vaut parfois mieux laisser faire la nature et je suis bien d'accord avec lui. Je caresse encore l'espoir que mon bébé va s'engager et que je pourrai accoucher naturellement.
A J+2, nouveau monito : parfaitement normal, mais là, le gynéco me dit que si à J+5, rien ne s'est passé, il faudra le déclencher. Il me demande donc de me présenter à la maternité le soir du J+4 et déclenchement prévu tôt le lendemain.
Ce fameux lundi 3 mai, je rends une dernière visite à ma sage femme (qui est aussi une amie et qui m'a fait un super suivi de grossesse). Vers 15h30, elle me fait un examen, histoire de voir si Léon n'aurait pas eu la bonne idée de descendre, mais non ! Elle me met sous monitoring une dizaine de minutes, plus pour me faire plaisir que parce qu'elle est inquiète. J'entends son petit cœur battre, je le sens bouger dans mon ventre. Bref, tout est OK. On boit un dernier café ensemble, on discute une petite demi heure et vers 17h30, je rentre à la maternité où mon mari me rejoint.
Là, la sage femme me fait l'examen d'entrée : Léon est toujours haut et le col n'est ouvert qu'à 1 doigt. Elle me fait encore un monito de contrôle, et là, par contre, ça s'affole : le cœur de Léon oscille entre 50 et 150. Je lui explique que j'ai eu un monito moins de 2 heures avant et que tout allait bien : elle conclue à une souffrance fœtale, appelle le gynéco de garde qui décide d'une césarienne en urgence (encore!), histoire de ne prendre aucun risque.
Rebelotte, me voilà au bloc. Je reste philosophe, mon fils sera là d'ici une demi heure (tant pis pour la voie basse). J'ai un grand sourire sur le visage. L'équipe me trouve courageuse, on bavarde, on rigole. Ils interviennent vite et personne n'est vraiment inquiet. La routine, quoi !
L'intervention se passe bien : le chirurgien m'annonce qu'il est entrain de le sortir. Je suis aux anges. Mais je ne l'entends pas crier. Je ne m'inquiète toujours pas. Je n'attends qu'une chose, que la sage femme vienne me le poser dans les bras. Et puis, progressivement, le silence s'installe. Autour de moi, il n'y a plus personne, seulement le chirurgien entrain de me recoudre.
Au fur et à mesure que le temps passe, je sens qu'il y a un problème, et au bout de quelques minutes, je SAIS qu'il est mort, mais personne n'est là pour me le dire.
J'interpelle le chirurgien (que je ne vois pas) et je lui dis que s'il ne me dit pas ce qui se passe, je vais lui faire une crise de nerfs, là, sur sa table d'opération, malgré son anesthésie....
Il me répond qu'il ne sait rien, que là, l'urgence, c'est de finir l'opération. Que quelqu'un va venir. Les minutes s'égrènent dans le silence. Je pleure et je sais que Léon est mort.
La pédiatre arrive et me dit ce que je sais déjà : il est mort ! Je sombre et m'entends hurler. Je veux mon mari, là, tout de suite. La sage femme en pleurs dépose le corps sans vie de mon fils dans mes bras et va chercher mon mari. Je le tiens dans mes bras : il est superbe : le portrait craché de son frère, mais en rouquin. Je le caresse, mais il est déjà si loin. Mon mari arrive, détruit. Il regarde Léon, mais ne pourra jamais le prendre dans ses bras, c'est trop dur.
On nous amène en salle de réveil.
Mon fils est nu contre moi : je le regarde, le caresse, tente de lui donner tout l'amour possible. Mais ce n'est qu'une illusion. Il est mort et nous décidons de le rendre aux sages femmes, après lui avoir dit adieu.
Après , tout s'enchaîne : la demande d'autopsie, les papiers pour l'acte d'enfant sans vie, le retour dans la chambre. Là, les médecins nous expliquent qu'en fait, Léon était déjà mort lors du dernier monitoring, que c'est en fait mon cœur qu'ils ont capté au monitoring et que c'est pour ça que c'était aussi irrégulier. L'explication : un nœud hyper serré dans le cordon. Ils m'assurent qu'il n'a pas souffert, que mon fils est mort en moins de 30 secondes, et qu'il n'y avait rien à faire. Pourquoi ce putain de nœud s'est-il serré d'un coup? On ne le saura jamais. C'est extrêmement rare et ils appellent ça la fatalité.
Dans la chambre, j'entends d'autres bébés qui pleurent. Moi, je n'ai jamais entendu Léon pleurer. Je n'aurai même pas vu ses yeux. Mon cœur hurle, mon ventre est vide, mes bras aussi. La vie ne m'a jamais semblé aussi vide de sens.
Ce soir là, la sage femme qui s'est occupée de Léon vient nous trouver et nous dit en pleurs qu'en moyenne, un couple sur deux ne résiste pas à la mort d'un enfant, surtout lorsqu'elle arrive à ce stade de la grossesse. Elle nous fait promettre de rester unis et de continuer à s'aimer très fort. C'est la première promesse que nous nous faisons avec mon mari. Nous nous aimons profondément et nous ne laisserons pas ce drame briser le peu qui nous reste. Et puis, nous nous promettons aussi de ne pas nous laisser aller à la haine, à la colère, à la recherche désespérée d'un responsable, d'un coupable (d'ailleurs, il n'y en a pas). Enfin, nous nous promettons de retourner le plus vite possible vers la vie. Nous avons un fils qui a besoin de nous. Et déjà, quelques heures après, nous nous promettons de faire un 3ème enfant, qui ne remplacera jamais Léon, mais qui sera un jour pour notre famille le symbole de l'espoir retrouvé et du bonheur.
Je vous raconterai peut être à un autre moment l'incinération, la dispersion des cendres de notre fils. Autant de moments insupportables, mais qui constituent des étapes importantes pour nous dans le deuil de ce p'tit bout d'homme que nous avons désiré, attendu et chéri pendant plus de 9 mois.
Léon est mort dans mon ventre le 3 mai 2010, entre 16h et 17h30 et je ne m'en suis pas rendue compte. Depuis, je me repasse en boucle chaque moment de cette heure et demie et je cherche quel mouvement j'ai bien pu faire pour que le nœud se serre. Je sais bien que c'est stupide, mais je n'arrive pas à m'en empêcher. Je me sens tellement coupable et j'enrage sur le timing. Et si j'étais arrivée à la maternité une heure plus tôt, au lieu de boire le café avec mon amie. Et si je n'avais pas autant insisté pour un accouchement par voie basse. Et si, et si...
Les médecins m'affirment qu'il n'y avait aucune raison de le déclencher, ni de faire une césarienne avant le moment prévu. Et que de toute façon, même si le cordon s'était serré à la maternité, ils n'auraient rien pu faire, vu la vitesse à laquelle le bébé meurt dans ces cas là. Mais je ne peux m'empêcher d'enrager. Encore dans la voiture, en me rendant à la maternité, je l'ai senti me donner des coups de pieds, les derniers...
Depuis, j'ai pleuré, mais aujourd'hui, j'ai l'impression de n'avoir plus de larmes. Seulement un grand vide tout autour de moi. J'ai froid en permanence. Léon, ta présence nous manque tellement.
Serrer le corps sans vie de son enfant est sans doute la pire chose qu'il peut arriver à des parents. C'était notre hantise depuis toujours et pourtant nous l'avons vécu. Comment se relever de ça ? Nous cherchons.
Dans notre malheur, nous avons une chance inestimable, celle d'être merveilleusement entourés. La petite vingtaine d'amis qui gravite autour de nous a été exceptionnelle. Depuis la mort de Léon, ils se relaient pour ne jamais nous laisser seuls plus d'une demi journée. Même si cela peut choquer, j'ai besoin d'eux, de leur raconter ce qui s'est passé, de rabâcher encore et encore, pour sortir la douleur de mon corps et de ma tête. Je crois que c'est comme ça que nous arriverons à faire notre deuil. Et puis, en en parlant, je donne à Léon une réalité, une place parmi nous, et ça, j'en ai besoin.
Je ne peux pas faire comme s'il ne s'était rien passé.
Léon, tu as une place parmi nous, dans nos cœurs et dans nos vies à tous. Tu es à jamais notre deuxième fils.
Face aux nouveaux bébés de mes amies, je reste indifférente. J'ai eu besoin très vite de les prendre dans mes bras, histoire de voir si cela m'était insupportable, mais en fait, je suis juste heureuse pour leurs parents. Heureuse qu'il ne leur soit pas arrivé la même chose qu'à nous. Et puis, mon cœur ne hurle pas l'absence d'un bébé en général, mais celle de mon fils, Léon.
Avec mon mari, nous entamons un suivi psychologique. Ce sera long, mais nous allons nous redresser, pour Jules et pour Léon. On le leur doit.
Désolée de la longueur de mon témoignage, mais ça m'a fait du bien.
Anne, maman de Jules et de Léon, nos deux fils adorés.